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7 juin 2013 5 07 /06 /juin /2013 18:29
Par figaro icondamien Mascret - le 07/06/2013
Le nouveau manuel de référence américain de psychiatrie, le DSM-5, crée encore de nouvelles pathologies et entraîne une vive polémique.

Jusqu'à présent, les psychiatres ne s'occupaient pas de ceux d'entre nous à qui il arrivait régulièrement, disons une fois par semaine, de se gaver de leur aliment préféré. Désormais, selon la nouvelle édition du manuel de psychiatrie américain, le DSM-5, c'est le signe d'un trouble mental dénommé «Binge eating». Pour le psychanalyste Jean-Michel Huet, spécialiste des troubles alimentaires à Paris, «le DSM n'apporte rien en introduisant le “binge eating” selon des critères aussi flous, sans tenir compte du fait que tout notre environnement nous encourage régulièrement à manger et sans considérer la notion de souffrance».

Car si les spécialistes de la santé mentale sont les premiers à défendre la prise en charge des gens qui souffrent, eux ou leur entourage, ils se refusent à cautionner une démarche animée par des considérations parfois plus commerciales que scientifiques. Un glissement théorique aussi. L'historienne de la psychanalyse, Élisabeth Roudinesco, pointait vendredi aux Assises citoyennes pour l'hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social, qui se tenaient à Villejuif, «la bascule de l'existentiel vers le comportementalisme».

Peut-être faudra-t-il créer un label indiquant «Pratique garantie sans le DSM» pour identifier les thérapeutes qui en ont assez de la déshumanisation des soins aux malades mentaux. Ce n'est pas absurde si l'on se réfère à la formidable lame de fond qui semble s'élever, notamment en Angleterre, en France et aux États-Unis même, contre la 5e édition du DSM, le manuel de diagnostic psychiatrique publié le 18 mai dernier par la puissante Association américaine de psychiatrie.

Pourquoi s'inquiéter d'un simple manuel de psychiatrie? C'est que le DSM sert de référence aussi bien pour la formation des jeunes médecins généralistes, qui sont à l'origine de la prescription de 80 % des psychotropes en France comme aux États-Unis, mais aussi souvent le socle incontournable pour les études menées sur les médicaments, voire le critère de la prise en charge des soins.

«Nous devons connaître nos limites et ne pas les dépasser»

La critique est désormais vive au sein même des défenseurs des classifications psychiatriques. On ne peut soupçonner le Pr Allen Frances, professeur émérite de psychiatrie à l'université de Duke, d'être un militant de l'antipsychiatrie. C'est lui qui a coordonné la rédaction du DSM-4 en 1994. Il s'est pourtant dit attristé du résultat auquel aboutit la nouvelle édition: «Nos patients méritent mieux, la société mérite mieux, et les professionnels de la santé mentale méritent mieux. Soigner les malades mentaux est une profession noble et utile, mais nous devons connaître nos limites et ne pas les dépasser.»

Pour les experts, le DSM, en dépit de son utilité pour la recherche et l'harmonisation des travaux internationaux, est allé trop loin en prétendant redessiner largement les frontières entre le normal et la pathologique. Devant la levée de boucliers suscitée par les premiers brouillons du DSM-5 qui voulait pathologiser le deuil normal, c'est-à-dire celui qui ne conduit pas aux idées suicidaires, l'association psychiatrique a même dû faire machine arrière. Un fait sans précédent. Même retrait in extremis pour le diagnostic de «risque psychotique», qui conduisait à stigmatiser des personnes présentant des troubles susceptibles d'évoluer vers une authentique psychose… alors que cela n'arrive pas dans plus de 80 % des cas.

Lors des Assises citoyennes pour l'hospitalité en psychiatrie et dans le médico-social, le psychiatre Philippe Bichon invitait à «résister à une vision simplificatrice de l'homme et de la folie». Psychanalyste et psychiatre, le Dr Patrick Landman, auteur de Tristesse Business, le scandale du DSM-5 (Max Milo Éditions, 2013), trouve paradoxal qu'au moment même où des disciplines, comme la génétique, se mettent à considérer l'influence de l'environnement sur l'expression des maladies (épigénétique), la psychiatrie selon le DSM fait le chemin inverse «en déniant de façon absurde le facteur social dans la causalité». À force de se focaliser sur le comportement, pour éviter tout parti pris idéologique, le DSM aurait arraché le cœur de la maladie mentale: l'histoire de l'individu. «Comme le lapin pris dans les phares d'une voiture, le DSM a foncé sur l'idéologie en voulant l'éviter», commente Jean-Michel Huet.

Le Pr Frances a lancé une mise en garde sévère à l'intention de ceux qui auraient l'intention de se servir du DSM-5: «Les nouveaux diagnostics en psychiatrie sont plus dangereux que les nouveaux médicaments parce qu'ils déterminent ceux qui vont être mis sous traitement ou pas. Avant de s'en servir, ils mériteraient les mêmes précautions de sécurité que ceux que nous accordons aux médicaments. L'association psychiatrique américaine n'est pas compétente pour le faire.» Elle a pourtant investi 25 millions de dollars dans l'opération.

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