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9 juin 2013 7 09 /06 /juin /2013 10:17
Par
Brigitte
Bègue

Chirurgie obésité© Ian HANNING/REA

Comment définir le juste soin ? Pourquoi tant d'hétérogénéité dans les pratiques médicales ? Ce sont les questions auxquelles ont essayé de répondre divers spécialistes lors d'un colloque organisé le 5 juin par la chaire Santé de Sciences-Po de Paris.

A la base, un constat : certains actes médicaux seraient inutiles. En avril dernier, un rapport de l'Académie de médecine les évaluait à environ 30 %. Un problème sur lequel se penche l'assurance maladie car parallèlement les dépenses de santé augmentent, la France se situant dans le peloton de tête des pays de l'OCDE par tête d'habitants.

La chirurgie de l'obésité a augmenté de 20 %

Parmi les interventions pointées par Dominique Polton, directrice de la stratégie des études et des statistiques à la caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), les opérations de l'appendicite, avec 80 000 par an « on est en baisse ces dernières années mais  il y en a encore trop dans certains endroits », les césariennes programmées, la chirurgie de l'obésité qui grimpe de 15 à 20 % par an, avec des écarts de un à trois selon les régions.« En y regardant de plus près, on s'est aperçu qu'il y a avait des effets d'école et d'engouement pour certaines techniques, explique Dominique Polton. Certains centres se sont même spécialisés dans une seule technique chirurgicale, du coup, les patients n'ont pas d'autres choix ».

Sur la sellette aussi, la chirurgie de la prostate,« on opère des hommes pour qui ce n'était pas forcément nécessaire au vu des recommandations officielles », l'ablation de la thyroïde « dont les bénéfices-risques ne sont pas toujours évidents », la chirurgie ambulatoire...« Après une intervention du canal carpien ou de la hanche, la prescription de séances de kinésithérapie en ville diffère beaucoup d'un département à un autre. On en prescrit plus dans le sud de la France, par exemple, où il y a beaucoup de kinés. L'offre de soins joue », précise Dominique Polton.

Beaucoup de diversité dans les pratiques

Les bonnes pratiques, qui préconisent qu'un patient diabétique doit avoir au moins trois examens de l'hémoglobine glicquée par an, ne sont pas toujours bien respectées non plus. Dans certains départements, elles sont suivies à 25 %, dans d'autres à 47 %, le taux atteint plus rarement 60 %. Idem pour les génériques : certains médecins en prescrivent à hauteur de 20 %, d'autres à 80 %.« Ce n'est pas normal », souligne Dominique Molton.

Question sous-jacente : « Est-ce que si on en fait plus, c'est mieux ou le contraire ? ». La question avait déjà été posée par la revue indépendante Prescrire, lors d'un colloque en 2012, intitulé « Dépister trop nuit-il à la santé ? », à propos du cancer du sein et des risques de sur-diagnostics et donc de sur- traitements.« On n'arrive pas toujours à porter un jugement, avoue la représentante de la Cnam. On est assez inquiet des conséquences de l'explosion de la chirurgie de l'obésité mais, à court terme, elle semble avoir un impact positif sur le diabète. C'est pareil pour les opérations de la cataracte, à partir de quel âge faut-il opérer ? ».

Une chose est sûre : le phénomène n'est pas spécifiquement français, on le retrouve dans la plupart des pays développés (aux États-Unis, les actes inutiles coûtent 750 milliards d'euros par an). Néanmoins, la tendance à considérer que « faire même si ce n'est pas très utile, c'est mieux que de ne pas faire » est très ancrée dans l'hexagone.

« Il est difficile de savoir où est la norme »

« Il est difficile de savoir où est la norme », admet France Virjens, statisticienne au centre fédéral d'expertise des soins de santé en Belgique. Il y a peu, dans le sud de ce pays, l'augmentation des cas de cancer de la thyroïde a généré beaucoup d'inquiétude dans la population.« Il y avait une différence de 3 à 16 entre le nord et le sud de la Belgique, raconte France Virjens. On a mené deux études épidémiologiques et on s'est aperçu qu'on pratiquait plus d'examens dans le sud. Il y avait donc plus d'interventions pour des petites tumeurs qui, en fait, n'auraient jamais posé de problème vital à la personne. Mais quand on cherche plus, on trouve plus ».

Autrement dit par le Pr Francis Bonnet, anesthésiste réanimateur hospitalier à Paris,« il y a parfois un excès de prescriptions, on va chercher des choses qui ne servent à rien pour l'opération ». Alors qu'il l'affirme : « Quand les bonnes pratiques sont respectées comme la vérification de la check list avant une intervention, la mortalité liée à une anesthésie diminue ».

Le médecin n'examine plus son patient

Les raisons de ces dérives sont diverses, technisisation de la médecine, offre de soins, pression des patients, mercantilisme, culture... Mais pour René Mornex, membre de l'Académie de médecine, c'est aussi l'enseignement de la médecine qui est en cause : « Il s'est dégradé depuis une vingtaine d'années. La formation clinique s'est évanouie. Actuellement, un médecin ne fait plus déshabiller le patient, ne lui prend pas sa tension, c'est tout juste s'il regarde son malade car il a les yeux rivés sur son ordinateur ».

Reste que les choses ne sont pas simples.« Il y a une hétérogénéité des médecins comme des patients, stipule Gérard Reach, professeur d'endocrinologie et de diabètologie à l'hôpital Avicennes de Bobigny. Pour un traitement, un patient répond, l'autre non. Les études de randomisation sur lesquelles sont fondées les recommandations médicales ont inventé la notion de patient moyen mais ce n'est pas la vraie vie, ce n'est pas un patient moyen que le médecin a en face de lui dans son cabinet. Il soigne une personne, pas une cohorte ».

 

Défend-on toujours l'intérêt du patient ?


Autre point soulevé par Bruno Toussaint, directeur de la revue indépendante Prescrire : les recommandations ne sont bonnes à suivre que si elles sont au service du patient. Ce qui n'est pas toujours le cas.« La question qu'il faut se poser c'est de qui défend-on les intérêts au bout du compte ? soulève-t-il. Les médecins sont soumis à beaucoup d'intérêts contradictoires, ceux des patients, de leurs collègues soignants, des firmes pharmaceutiques, de l'Assurance maladie, de l'administration, de leur carrière, de leur notoriété, etc. ».

En 2012, Prescrire a passé au crible 82 médicaments ayant eu une Autorisation de mise sur le marché, seuls 4 apportaient une réelle avancée thérapeutique, 14 apportaient « un petit quelque chose », 42 n'apportaient aucun bénéfice, 15 étaient déconseillés par la revue, restent 7 pour lesquels elle ne s'est pas prononcée.« Cela n'aide pas les médecins à mieux soigner, commente Bruno Toussaint. Ces médicaments font double emploi avec d'autres plus anciens et efficaces, ils encombrent la pharmacopée et distraient des bonnes pratiques. Certains incitent même à soigner moins bien comme ça été le cas pour le Mediator ».

 

"Le soin ne se réduit pas à des chiffres"


L'équipe de Prescrire a également analysé les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) à travers les 10 derniers guides qu'elle a publiés. Le résultat est sévère : un seul s'avère pertinent selon Prescrire, il concerne la prise en charge de l'obésité des adultes, un autre est jugé « acceptable » à condition de le lire « avec l'esprit critique », les autres sont « inutiles », voire carrément « à déconseiller ». Bruno Toussaint rappelle, au passage, que grâce à l'action du Formindep (une association de médecins indépendants), on s'est aperçu que deux guides, le premier sur la maladie d'Alzheimer et le deuxième sur le diabète, étaient entachés par des liens d'intérêt entre experts et fabricants de médicaments et ont du être revus.

Bruno Toussaint met également en garde contre certains objectifs de réduction des coûts,« la valanfaxine, un générique de l'antidépresseur Effexor, expose  à des effets indésirables injustifiés », et des incitations pas toujours bien évaluées,« la balance bénéfices-risques du dépistage organisé du cancer du sein est discutée, c'est encore pire pour le dépistage individuel », dit-il. Et d'ajouter : « Attention à ne pas motiver les pratiques par la chasse à la prime à la performance pour les médecins, à les juger la base de statistiques car le soin ne se réduit pas à des chiffres ».

 

Il faut inciter le patient à poser des questions


Et le patient dans tout ça ? « Il ne se pose pas la question de la régulation des pratiques, il a confiance en son médecin, assure Claude Rambaud, présidente du collectif d'associations de patients Ciss. Mais il faut l'inciter à lui poser des questions. Et en premier, “Docteur, est-ce bien nécessaire ? ” Rien que cette phrase peut faire réfléchir le médecin ». Une campagne en ce sens a démarrer aux États-Unis.

 

 

 

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