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9 novembre 2011 3 09 /11 /novembre /2011 19:45

Servier choie les blouses blanches dès l'internat, il paie les pots de départ, distribue des prix, des aides pour les DEA... Le labo, qui collabore avec le CNRS, l'Inserm, l'Institut national du Cancer, l'Institut du Cerveau, finance ainsi une bonne partie de la recherche française, arrose les revues, les sociétés savantes, dont la très puissante Société de Cardiologie.

Un cadre de chez Servier est aussi trésorier de la Société française de Pharmacologie et de Thérapeutique, une responsable du labo préside celle de toxicologie. Son mari, Jean-Roger Claude, toxicologue réputé, employé lui aussi chez Servier comme consultant depuis 1972, est l'un des piliers de l'Afssaps, membre inamovible de la commission d'autorisation de mise sur le marché. "Tout le monde connaît mes conflits d'intérêts", explique sereinement le professeur. "Ça ne m'empêche pas d'être objectif bien au contraire."

Certains de ses confrères, souvent liés eux aussi à l'industrie, acquiescent. D'autres sont plus sceptiques. "Sans qu'on le réalise, songe un pharmacologue, Servier finit peut-être par endormir nos consciences."

Ni l'échec ni la contradiction

 Le labo est partout. Quand, en 1999, un cardiologue marseillais, Georges Chiche, qui a décelé une anomalie aortique chez un patient traité au Mediator, fait une déclaration au centre de pharmacovigilance, il reçoit aussitôt la visite d'un médecin de Servier : "Votre cas n'a aucun rapport avec le Mediator".

Le laboratoire, pourtant, ne peut ignorer les risques de son produit, sa parenté chimique avec l'Isoméride. En 1994, déjà, une cardiologue belge avait alerté Servier, après avoir répertorié 11 cas de valvulopathies chez des patientes qui prenaient des coupe-faim, dont l'Isoméride et le Mediator. Un médecin du laboratoire est venu l'aider à remplir une fiche de pharmacovigilance. Mais personne ne l'a jamais rappelée. Six ans plus tard, elle comprendra pourquoi.

En France, le procès de l'Isoméride n'a pas eu lieu, seules deux femmes ont osé attaquer Servier. "Beaucoup de malades ont refusé d'aller en justice parce que leurs médecins les décourageaient, elles ont subi des pressions, elles avaient peur", se souvient l'une d'elles, qui a fini par gagner en Cassation.

Mais aux Etats-Unis, où l'Isoméride, vendu sous le nom de Redux par une firme américaine, des milliers de victimes portent plainte. La cardiologue belge est invitée à témoigner au procès. A l'époque déjà, Jacques Servier crie au complot. Une cabale probablement organisée par le lobby des obèses, c'est ce que lui et ses partenaires américains se disent.

Comme son fondateur, le laboratoire ne supporte ni l'échec ni la contradiction. Outre-Atlantique, les avocats font des découvertes inouïes. Un jeune médecin de Servier, qui avait alerté sa hiérarchie sur les effets neurotoxiques de l'Isoméride, a été prié de se taire, avant d'être licencié. Une autre étude, pratiquée sur des rats traités avec le médicament, qui montrait un épaississement des valves, a été ignorée. Servier semble avoir parfois une conception bien particulière de la recherche...

Une boite de Mediator (DURAND FLORENCE/SIPA)

"Pense à ta carrière"

Après son signalement, le docteur Chiche n'a lui non plus reçu aucune nouvelle, ni du laboratoire ni des autorités sanitaires. Mais un confrère cardiologue, adjoint à la mairie de Marseille, l'a prévenu : "Pourquoi fais-tu des trucs comme ça ? Pense à ta carrière".

A la même période, d'autres personnes en conflit avec Servier font l'objet d'intimidations, toujours anonymes. Le professeur de McGill, Lucien Abenhaïm, qui a diligenté la première grande étude démontrant les dangers de l'Isoméride, reçoit des petits cercueils à son domicile.

Un responsable du ministère de la Santé chargé du dossier est menacé par téléphone : "Méfiez-vous quand vous traversez la rue". Un journaliste, qui enquête lui aussi sur le coupe-faim, est suivi lors d'un week-end extraconjugal à Venise. Peu après, son épouse reçoit un dossier, avec facture de l'hôtel, photos, relevés détaillés de carte bancaire. De simples coïncidences sans doute...

En 1999, "le Nouvel Observateur" et "le Canard enchaîné" révèlent que le laboratoire abrite, dans un appartement de son président, une officine composée d'anciens de la police, de la DST et la DGSE. Ces employés spéciaux sont chargés d'écarter, à l'embauche, tous les indésirables, gens de couleur, homosexuels, gauchistes, syndicalistes... après avoir interrogé trois "références" professionnelles et trois "personnelles" exigées pour chaque candidat, comme le font les francs-maçons.

La cellule secrète

Personne n'avait entendu parler de ce service, jusqu'à ce l'un de ses agents, après avoir été licencié, déballe tout. Reçu par le procureur de Nanterre de l'époque, Yves Bot, aujourd'hui proche de Nicolas Sarkozy, il lui raconte les méthodes de recrutement Servier, et ajoute, preuves à l'appui, qu'en Russie le laboratoire sert de couverture à la DGSE. Yves Bot l'écoute une heure, glisse au passage que son épouse, pharmacienne, trouve les produits Servier excessivement chers. La plainte de l'ex-agent secret comme celle de la Cnil et de quatre salariés discriminés à l'embauche seront classées sans suite.

Officiellement, la cellule secrète a disparu. En réalité, selon nos informations, elle est encore active et toujours dirigée par Martine Loo, une-ex du renseignement militaire, directement rattachée au président. Les liens souterrains entre le labo, refuge de plusieurs hauts gradés de la police, et la Place-Beauvau perdurent. Rien, apparemment, n'a changé. "Pour embaucher au Brésil ou en Corée une simple comptable, on a toujours la visite de nos barbouzes", témoigne un haut responsable de la firme.

Des liens avec Nicolas Sarkozy ?

Comment Servier a-t-il pu perpétuer impunément ses méthodes si singulières ? Comment peut-il obtenir, pour ses produits, des prix et des taux de remboursement élevés alors que le service médical rendu n'est pas toujours avéré ? Pourquoi semble-t-il souvent bénéficier d'une clémence des autorités ?

"La nation vous est reconnaissante de ce que vous faites", a déclaré Nicolas Sarkozy en décorant Jacques Servier. A quoi faisait référence le président ? A tous ses services personnels rendus, depuis ce jour où l'industriel, bluffé par ce maire de Neuilly si brave lors de la prise d'otages de la maternelle du 13 mai 1993, a décidé de miser sur lui ? Aux honoraires que Jacques a versés à Nicolas quand ce dernier a repris sa robe d'avocat d'affaires ; aux financements qu'il assura, en tant que membre du premier cercle de l'UMP, pour la campagne présidentielle de 2007 ? Le chef de l'Etat faisait-il allusion à d'autres services, indicibles, liés aux intérêts supérieurs de la France ?

Il s'est simplement incliné devant le vieux docteur : "Vous vous êtes battu toute votre vie pour soulager et pour guérir".

Site de production de médicaments du laboratoire indépendant "Servier" a Gidy-la-Foret (LYDIE/SIPA)

"Nous n'avons rien à nous reprocher"

Sur les murs en velours de son siège social, Jacques Servier a fait graver en lettres dorées: "Là où est l'amour des humains est aussi l'amour du métier". Cette citation d'Hippocrate a marqué des générations de visiteurs médicaux.

En 2007, l'un d'entre eux apprend, lors d'un congrès, qu'une pneumologue brestoise, Irène Frachon, travaille sur des cas de valvulopathie apparemment liés au Mediator. Il s'inquiète, prévient sa hiérarchie.

Branle-bas de combat, des fiches sont immédiatement distribuées aux délégués médicaux afin qu'ils répètent : "II n'y a aucun lien possible entre le Mediator et les valvulopathies". La machine Servier s'active pour discréditer la pneumologue. A l'Afssaps, un de ses relais prend à partie un expert jugé trop favorable à son travail. "C'est toi qui fricote avec cette fille, tu vas le payer cher, de ta vie professionnelle et aussi de ta vie privée". Certains membres de l'Agence se demandent même comment faire radier la jeune femme du Conseil de l'Ordre.

Depuis, Irène Frachon est une héroïne et la Cnam compte les morts. 500, 1.000 ? Un "chiffre marketing", a commenté Jacques Servier en présentant ses voeux à son personnel. Il nous le redit : "Nous n'avons rien à nous reprocher".

Sophie des Déserts - Le Nouvel Observateur

(Article publié dans "Le Nouvel Observateur" du 13 janvier 2011)

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