InterviewThomas Sannié est membre du conseil de surveillance de l’AP-HP. Il y représente les usagers de la santé.
Thomas Sannié, responsable de l’association française des hémophiles d’Ile-de-France, préside aussi la conférence régionale de santé. Il est membre du conseil de surveillance de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), au titre des usagers de la santé.
Les tensions sont fortes, multiples, variées. Pour nous, le plus grave est que les relations entre soignants et soignés sont entrées dans une phase de tension institutionnelle. Et inédite.
Le public en a assez. Il a mûri, il est sondé à longueur de journée, observé, scruté. Il regarde de façon de plus en plus critique la manière dont il est pris en charge à l’hôpital ou simplement accueilli.
Mais que voit-on ? Aux urgences, le patient arrive, on ne lui parle pas, on ne le regarde pas, on ne l’informe pas. Il attend des heures, dans des locaux la plupart du temps médiocres. J’étais encore récemment aux urgences de l’hôpital Cochin [à Paris, ndlr]. Le hall est sale, miséreux, j’ai attendu sans explication, sans information. Les urgences, c’est quand même la moitié des entrées de l’AP-HP. En face, le corps médical et le personnel soignant se crispent. Ils ont un mal fou à accepter les critiques.
L’hôpital ne sait plus accueillir les urgences ni les patients âgés, ni les handicapés, ni les précaires. Ce sont pourtant eux qui viennent. Ce constat est général, dans toute la France. Je ne vous parle pas des dépassements d’honoraires, qui, même s’ils sont marginaux, engendrent de la crispation et de l’incompréhension. On a le sentiment que tout est plus compliqué, plus lourd aujourd’hui.
Il y a indéniablement, au départ, un déficit de formation sur la manière d’accueillir et de recevoir les patients. Pour dire les choses simplement, la pratique du soin gentil et bienveillant n’est pas enseignée. Le recueil du consentement non plus. C’est impressionnant combien ces valeurs élémentaires du soin sont ignorées.
C’est un corps très diversifié, sans unité. Une des difficultés, pour eux, c’est qu’ils ont subi des successions de réformes, chacune leur pompant de l’énergie, mais aucune n’était focalisée sur les patients. On les sent distants, comme si leur engagement était ailleurs. Il n’y a ni structure ni lieux où les usagers et l’administration peuvent se retrouver et discuter. Et les médecins comme l’administration commettent une erreur essentielle : ils n’utilisent pas les usagers comme un facteur de changement. On reste toujours dans l’hypothèse que le malade est le problème, et non la solution.
Lorsqu’il y a des incidents, cela n’entraîne aucune modification dans les pratiques. Il n’y a pas cette habitude de se corriger. Il n’y a pas de management. Les commissions qui existent sur la qualité des soins ? Les médecins n’y viennent pas.
La représentation des usagers reste marginale, les demandes du public ne sont pas entendues.
Oui, et en même temps, tous les jours, les gens sont soignés, voire sauvés. Un très grand nombre de médecins font très bien leur métier, mais je le redis, le prix à payer est très fort. La révolution que doit faire l’hôpital, autour de l’accueil des patients et sur la bienveillance dans les soins, n’est pas entreprise. On se retranche derrière l’argument d’un manque de personnel, de la difficulté du service.
Ne mélangeons pas tout. Quand je parle de maltraitance vis-à-vis d’un patient, on va me répondre : manque de personnel. Comme si c’était une excuse. Les histoires que vous racontez à propos des urgences sont simplement inhumaines et insupportables. L’hôpital n’assume pas ses difficultés, et n’apprend pas de ses erreurs.
Si, à chaque fois qu’il y a un dysfonctionnement, on y travaillait ; si on sentait que l’hôpital était ouvert à la critique, alors, beaucoup de choses pourraient changer. Mais je reste inquiet. Pour nous usagers, le rapport de force est aujourd’hui clairement en notre défaveur.