Selon Le Parisien, la ministre de la santé, Marisol Touraine, s'apprêterait à demander aux autorités européennes de réexaminer l'AMM d'une quarantaine d'oestroprogestatifs. Après l'affaire du Mediator et malgré une loi adoptée en décembre 2011, ces remous autour des risques des pilules de 3e et de 4e génération révèlent à nouveau les ratés de la surveillance de la sécurité des médicaments.
Sollicitée, l'ANSM n'a pas accepté de fournir au Monde les données de pharmacovigilance sur les pilules de 3e et 4e génération. Selon les informations que nous nous sommes procurées, l'agence aurait reçu en tout et pour tout la notification de 133 accidents thromboemboliques et de 122 accidents vasculaires cérébraux (AVC) pour l'ensemble de ces pilules pourtant prises par 2,5 millions de femmes en 2012. Un total si bas qu'il ne fait aucun doute que le système de pharmacovigilance est loin de l'exhaustivité.
Le système d'alerte actuel est en effet inopérant. La sous-notification des effets indésirables des médicaments est déjà courante. Elle l'est d'autant plus quand il s'agit d'accidents connus et mentionnés dans les notices officielles, comme c'est le cas pour les thrombo-phlébites sous pilules. C'est ainsi que les accidents graves voire mortels avec celles de 3e et 4e génération, révélés notamment par Le Monde, n'avaient fait l'objet d'aucune notification à l'ANSM.
PAS DE REGISTRE NATIONAL
Soit délibérément, soit par ignorance, nombre de médecins prescripteurs n'ont pas respecté les recommandations, formulées en 2007 par la Haute Autorité de santé (HAS), de ne pas opter pour les oestroprogestatifs de 3e et 4e génération comme première contraception. De ce fait, ils n'ont sans doute pas été enclins à signaler des accidents susceptibles d'être liés à leur prescription. De plus, beaucoup de patients ignorent qu'ils peuvent désormais signaler eux-mêmes des effets indésirables directement à l'ANSM au moyen d'un formulaire téléchargeable.
Cette pharmacovigilance classique doit-elle être complétée par des systèmes d'alerte plus sensibles ? "Dans tous les pays, les déclarations de cas n'ont aucune valeur pour quantifier précisément les risques thromboemboliques chez les utilisatrices de pilules, estime le docteur Oejvind Lidegaard, principal auteur des études sur le sujet au Danemark. En revanche, le système de registre danois, qui enregistre tous les événements médicaux, est très approprié pour une telle surveillance."
En France, il n'existe de registre national ni pour les phlébites ni pour les AVC. Un registre dijonnais collecte en revanche de façon exhaustive tous les cas d'AVC dans cette ville de 150 000 habitants depuis 1985. "Nous observons une augmentation continue des infarctus cérébraux chez les moins de 50 ans alors que l'incidence reste stable chez les plus âgés", indique le Dr Yannick Bejot, son directeur scientifique.
Cette affaire confirme les dysfonctionnements du dispositif français de régulation du médicament, avec un hiatus persistant entre l'ANSM et la HAS. La seconde, qui abrite la commission de la transparence chargée d'évaluer l'intérêt médico-économique des médicaments, a adopté dans ce dossier une attitude nettement plus stricte que la première, chargée de l'AMM et de la pharmacovigilance.
En 2002, la commission de la transparence (CT) à l'époque rattachée à l'agence du médicament, rend un avis sur les pilules de 3e génération : elles ne sont pas plus efficaces que les précédentes et le risque thromboembolique veineux est multiplié par 1,5 à 2. L'avis est cependant favorable au remboursement, non sans demander aux firmes de fournir les données permettant "d'évaluer la tolérance des oestroprogestatifs de 3e génération versus ceux de 2e génération."
Lors d'un nouvel examen en octobre 2007, la CT souligne que "ces données n'ont jamais été fournies." Elle confirme l'excès de risque des pilules de 3e génération et estime qu'elles ne peuvent être recommandées comme première contraception. En juin 2012, sur la base des nouvelles données disponibles, la CT fait un pas de plus : il n'est même plus possible de positionner ces pilules en seconde intention. Faisant jouer son seul levier d'action, cette commission indépendante rétrograde à "insuffisant" l'intérêt médical de ces contraceptifs et recommande de supprimer les remboursements obtenus en 2009.
Il faudra attendre le 1er octobre 2012 pour que l'ANSM mette en ligne un "Point d'information" recommandant clairement la prescription de pilules de 2e génération en première intention. Ce document ne sera adressé aux prescripteurs que fin décembre, alors que les médias se sont déjà saisis de l'affaire.
L'Europe est aussi en première ligne puisque ces pilules ont pour la plupart fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché accordée par l'Agence européenne du médicament (EMA). L'EMA a analysé les d'alerte dès 1995, mais n'a jamais remis en cause les AMM, considérant que le risque thromboembolique avec les pilules de 3e génération demeurait rare.
En mai 2011, après l'examen de nouvelles données sur les pilules de 4e génération (contenant le progestatif drospirénone), issues d'études qu'elle avait réclamées, l'EMA considère que les risques thromboemboliques veineux sont équivalents à ceux des pilules de 3e génération. Elle demande que cela soit mentionné dans les documents d'information des produits. Une réponse largement insuffisante, selon certains experts. Une téléconférence de la commission de pharmacovigilance de l'EMA sur les pilules de 3e et 4e génération a été organisée mercredi 9 janvier.
Reste la question de l'ampleur des accidents graves imputables aux dernières générations de pilules qui auraient pu être évitées par la prescription de contraceptifs de 2e génération. Un bilan rétrospectif qui comme dans le cas du Mediator risque de nourrir la polémique. Depuis les premières alertes de 1995, aucun des 31 centres régionaux de pharmacovigilance français n'a jamais été missionné par l'agence du médicament pour une enquête prospective, confie au Monde le responsable de l'un d'entre eux.